Amélioration des connaissances halieutiques : biologie/écologie et pêche
Marquage/recapture de langoustes
Outre l’origine géographique des navires qui ont participé au projet, la répartition apporte une réelle information sur la distribution géographique de la présence de
la langouste rouge. En effet, aujourd’hui, la commercialisation des langoustes par les pêcheurs est principalement le fait de navires bretons et plus particulièrement des quartiers du Finistère. Plus au sud, les débarquements dans les ports de Quiberon, du Croisic, de Noirmoutier ou de l’île d’Yeu sont aujourd’hui quasiment nuls alors qu’une réelle pêcherie existait auparavant. Le marquage au large de ces zones, atteste de la présence de langoustes là où elle était supposée être absente aujourd’hui. Au niveau de Cap Breton, une petite pêcherie est présente, elle se situe au niveau des accores rocheux présent le long du Gouf.

La prise en compte de toutes les tailles des langoustes marquées permet de voir que les langoustes sous taille ont une distribution assez large. Ainsi les plus petites tailles sont autour de 50 mm de Lc. Pour autant, la majorité des langoustes ont une taille comprise entre 80 et 110 mm (Figure 5). Les langoustes de taille commerciale sont celles qui ont été achetées et relâchées.
Au cours de l’année 2015, le nombre de langoustes recapturées s’élève à 53 ce qui correspond à un taux de recapture d’environ 5%. En considérant des études similaires, ce taux est tout à fait correct. Il faut noter que certaines de ces recaptures ont eu lieu moins de 10 jours après les avoir remises à l’eau par les mêmes bateaux.
A ce stade pour les deux zones, les trajectoires observées sont de deux types :
– Déplacement entre le large et la côte et inversement. Un déplacement de ce type a eu lieu dans le golfe de Gascogne et plusieurs en mer d’Iroise. Ils pourraient refléter des migrations bathymétriques en lien avec la saison et les conditions d’environnement.
– Déplacement sur le plateau, en restant dans les mêmes zones bathymétriques et qui pourraient être assimilé à de vraies migrations sans retour. L’aspect saisonnier est pour le moment difficile à établir d’une manière claire.
Aussi sur un tel programme, les résultats ne seront exploitables que sur le long terme.

L’estimation d’une loi de croissance pour la langouste constitue un point fondamental afin de garantir une gestion optimale de cette espèce. Ce travail nécessite de récupérer un nombre suffisant de langoustes ayant un temps de liberté conséquent au cours duquel elles ont pu réaliser une ou plusieurs mues. Cependant, les données de cette qualité (avec accroissement de taille) sont encore faibles aujourd’hui. En effet, dans les tailles considérées, il n’y a qu’une seule mue au plus par an. Aussi sur un tel programme, les résultats ne seront exploitables que sur le long terme. Les ordres de grandeur de l’accroissement à la mue (Figure 12) sont autour de 12 à 15 % de la taille céphalothoracique, soit des gains de taille de 10 à 15 mm pour des individus de 80 à 115 mm.
Sociologie de la traduction et de l’innovation
Une lecture des entretiens réalisés consiste à positionner chacun des acteurs individuels interviewés sur deux axes. Un premier, vertical, classe les acteurs en
fonction de l’intérêt qu’ils portent à la reconstitution du stock de langoustes rouges. Un second axe, horizontal, ordonne ces mêmes acteurs en fonction de leur confiance à l’égard des organes de gouvernance dans leur capacité à réguler la pêche à la langouste en vue de la reconstitution du stock. Cette répartition des acteurs permet non seulement de les positionner sur une grille à deux dimensions mais également de repérer des groupes d’acteurs marqués par leur proximité et comprendre les interactions qu’ils entretiennent entre eux.

En ce qui concerne les pêcheurs, 4 groupes peuvent être identifiés
– Un groupe situé dans le cadrant nord-ouest : ce groupe est le plus important. Il comprend de nombreux fileyeurs pour lesquels la langouste rouge représente une part significative de leur chiffre d’affaires (autour de 10 % et jusqu’à 30 % pour l’un d’entre eux). On y retrouve principalement une population jeune qui estime qu’il est de son intérêt de favoriser la reconstitution du stock. La population située dans ce cadran se trouve, cependant, dans une situation un peu instable. En effet si elle accorde de l’importance à la protection de la langouste rouge, elle est réticente ou indifférente à l’égard de l’action des organes de gouvernance en ce qui concerne la reconstitution du stock de langoustes rouges. Ceux-ci sont souvent considérés comme lointains et peu à l’écoute du terrain au point qu’ils peuvent prendre des décisions considérées comme contre-productives.
– Un deuxième groupe situé dans le cadran nord-est : il s’agit de pêcheurs considérant qu’il est important de protéger la langouste rouge mais pour lesquels la capture de langoustes est très accessoire. Le plus souvent, ils estiment que, si le stock est dans l’état qui est décrit, il est hautement souhaitable de fermer la pêche à la langouste pendant plusieurs années. Ils prennent comme exemple la fermeture de la pêche à l’anchois.
– Un troisième groupe se positionne au centre du graphique. Ce sont des pêcheurs, maintenant à la retraite, pour lesquels, lorsqu’ils étaient en activité, la question de la
protection de la langouste et celle de l’intervention des organes de gouvernance ne se posaient pas puisque la ressource était abondante.
– Enfin un quatrième groupe, dans le quart sud-ouest rassemble des pêcheurs au comportement plutôt opportuniste : il s’agit soit de pêcheurs ne respectant pas la
réglementation soit de pêcheurs profitant de ses imperfections.
En ce qui concerne les organes de gouvernance (dirigeants des comités des pêches, gestionnaires du Parc marin et dans une moindre mesure des scientifiques). Deux groupes se détachent.
– l’un, comme cela est attendu, se situe haut dans le cadran nord-est : ses membres sont fortement attachés à la préservation de la langouste tout en ayant une attitude positive à l’égard de leur propre intervention.
– dans l’autre, on trouve des (ex)membres des organes de gouvernance dans le cadran nord- ouest. Ils estiment que les avis des scientifiques ne sont pas suivis ou que les scientifiques et les décisionnaires agissent trop peu et/ou trop tard. Cela vaut pour la langouste rouge mais, également, à leurs yeux, pour d’autres espèces telles que le bar. La méfiance vis-à-vis des organes de gouvernance professionnelle est liée, selon les pêcheurs, à une insuffisante prise en compte des savoirs empiriques des pêcheurs locaux et de leurs compétences en matière de gestion fine de la pêcherie.
En ce qui concerne le circuit de distribution (criées et mareyeurs), il faut noter que, de façon intéressante, la ligne de partage passe à l’intérieur du groupe des mareyeurs et de celui des criées.
– Un premier groupe (composé de criées mais aussi de mareyeurs), situé le plus au nord, adopte une attitude proactive en proposant des solutions permettant de remettre à l’eau les langoustes hors taille commerciale.
– Le second groupe situé le plus au sud adopte une attitude à minima sur la protection de la langouste : la criée rend aux pêcheurs les langoustes non-commercialisables et les mareyeurs estiment qu’à partir de 600 g les langoustes sont commercialisables (ce qui n’est pas le cas pour les langoustes rouges pêchées en Atlantique, en France). Certains mareyeurs jouent également de la complexité de la législation puisque les langoustes rouges débarquées en Bretagne, sur les côtes de la Manche ou en Irlande ne peuvent être commercialisées qu’à partir de 11 cm au moins alors que les langoustes rouges en provenance de la Méditerranée (côtes françaises inclus), d’Espagne ou du Portugal le sont à partir de 9 cm. Une fois rendues à Rungis, aucun trait morphologique incontestable ne permet d’indiquer l’origine des langoustes proposées à la vente.
Le positionnement des acteurs sur cette grille permet de suggérer des actions visant à consolider le réseau LRR. Les actions les plus importantes visent les acteurs du cadran nord-ouest puisque ces derniers marquent un intérêt fort pour la reconstitution du stock de langoustes tout en étant réticents à l’égard des organes de gouvernance. Deux types d’actions peuvent être envisagés en direction de ces acteurs et plus particulièrement des pêcheurs. D’une part il est nécessaire qu’ils ne basculent pas vers le cadran sud-ouest (zone rouge). Si trop de pêcheurs apparaissent, à tort ou à raison, être des fraudeurs ou des opportunistes, des
pêcheurs hésitants sur la conduite à tenir peuvent se sentir attirer par un comportement de “passager clandestin” du type “pas vu, pas pris”. La lutte contre la pêche illégale (pêcheurs dans le cadran sud-ouest), représente tout autant une action opérationnelle (accroître le stock) qu’une action symbolique puisqu’elle manifeste, aux yeux de tous les acteurs, l’importance donnée à la réussite du programme LRR. D’autre part, il apparaît souhaitable que ces acteurs du cadran nord-ouest se rapprochent du cadran nord-est. Le programme LRR est l’un des programmes qui peut contribuer à cette migration : implication des pêcheurs marqueurs et retour d’informations. Par ailleurs, les pêcheurs qui ciblent la langouste estiment, à tort ou à raison, que leurs voix ne sont pas entendues et qu’ils sont peu représentés dans les instances de décision. Il doit être possible de dissiper de telles objections assez facilement.
L’économie des biens communs offrent des éclairages complémentaires sur les conditions requises pour l’établissement de régulations touchant ces types de biens dont devraient tenir compte les actants engagés dans une démarche de sociologie de l’innovation.
L’autorité peut être soit l’État (par des réglementations) soit le marché (par les quotas individuels transmissibles). En rupture avec cette pensée dominante, Ostrom a formulé une hypothèse forte : des ressources naturelles renouvelables peuvent être durablement gérées par les “appropriateurs” eux-mêmes (et leurs représentants). Il s’agit-là typiquement de la problématique de la reconstitution du stock de langoustes rouges dans le cadre de LRR. Ostrom a cherché à vérifier son hypothèse en
s’appuyant sur une démarche empirique qui prend appui sur une quinzaine d’expériences dans des domaines d’activités très différents : des pâtures, des systèmes d’irrigation, des pêcheries… Ceux-ci ont pour point commun d’être des ressources naturelles renouvelables et de faire l’objet d’une régulation par les” appropriateurs” eux-mêmes et la force qu’elle peut donner aux utilisateurs de la ressource collective. Tout comme Callon, elle souligne combien l’articulation entre des niveaux, l’un global et l’autre local, doit pouvoir s’établir de façon souple et adaptée. Enfin, l’implication des pêcheurs dans le triptyque réglementation / sanction / mécanismes de résolution des conflits est l’une des voies possibles permettant de rendre le réseau plus stable et plus dense tout en favorisant l’établissement de liens horizontaux dans ce réseau.